Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
mots en ligne
16 mars 2012

Le cadeau d'Ibrahim / Chapitre 22

Chapitre 22

Seule, en ce lundi matin, j’ai beaucoup pleuré, réfléchi, déprimé. Comment ai-je pu être assez sotte pour croire que ma fille s’épanouirait en se cachant ? Comment ai-je pu laisser mourir le dialogue entre nous ? Et, lorsque Marc rentré, m’apprit sa visite à l’hôpital, j’ai cru étouffer de jalousie. Je l’ai pourri pour oublier la frustration de ne pouvoir aider Lisa, la prendre dans mes bras, l’apaiser comme, lorsqu’enfant, j’étais la seule à la connaître. J’ai déversé sur Marc le poids de ma culpabilité, mon désespoir d’avoir mené Lisa sur une voix sans issue, ma rage de ne pas être celle qu’elle appelle pour retrouver chemin. Puis, après les cris, à nouveaux les larmes, et le téléphone. Rendez-vous fut pris pour le jugement d’un procès dont nous serions les coupables.

Fort heureusement, Marc avait pris sa journée. Je ne sais comment il parvint à me convaincre de le suivre au judo. Le prof était un ami. La salle étant inoccupée, il nous la céda sans poser de question face à nos visages défaits.
Je n’avais jamais passé de kimono. Marc m’enseigna succinctement l’art de la chute et m’excita au combat par l’insulte. Je ne saurai dire si le judo y trouva à redire mais l’explosion qui s’ensuivit fut martiale et sans art. Unique et sublime baston nourrie des désillusions d’une mère. Notre corps-à-corps violent dura jusqu’à ce que toute haine me quitte. Nous pûmes ensuite nous réconcilier. Vidés, couverts de bleus, nous avons enchaîné sur une douche, une pizza et de longues conversations sous la couette. Le lendemain matin, nous étions prêts à affronter le psy.

Le désir d’enfant, la grossesse, l’accouchement, l’enfance de Lisa, ses dons, la distance qui s’installe avec l’adolescence, tout y est passé. Sans nous culpabiliser, le psy nous fit admettre l’évidence et la nécessité d’une séparation momentanée. Sur le coup, c’était raisonnable, envisageable, mais...

Voilà un mois que Lisa est dans un centre d’éveil personnel pour “enfants précoces” au fin fond des Alpes. Je ne l’ai pas revu et lui écrit. Elle ne répond pas. Elle dispose d’un suivi psychologique quotidien, poursuit sa scolarité à mi-temps, et découvre son potentiel personnel parmi d’autres petits génies aux dons divers. Les seules nouvelles dont nous disposons émanent d’une secrétaire briefée pour rassurer les parents inquiets. Ce n’est pas suffisant. Je suis en manque.


Noël approche. Je lui prépare un sac bourré de cadeaux. Lucas sera son père Noël, il part la rejoindre une semaine : ski, randos,... J’hésite à mettre une boite de préservatifs, c’est peut-être délicat, de la part d’une mère.
La déprime quoi. Je ne sais plus ce qu’était ma vie avant Lisa. J’ai peur de la perdre, d’avoir gâché sa vie.
Marc est aux petits soins. La famille, les amis questionnent. Nous restons évasifs. C’est à Lisa de se définir. Ma puce s’est envolée, ma petite fille a disparu et j’attends janvier pour retrouver une autre Lisa. Sonnette. Lucas. Je n’ai pas fini. Il reste encore l’énorme cadeau de mes parents à caser.

    - Entre, Lucas ! Je descends.
    - Bonjour madame. Je viens chercher le sac de Lisa.
    - Oui, je sais. J’ai encore deux ou trois trucs à mettre. Tu veux un café ?
    - Oui, merci.

Les blancs s’installent.
    - Je vais chercher le sac.
    - Je vous aide ?
    - Oui. Suis-moi.
    - C’est sympa chez vous.
    - Merci.
    - C’est sa chambre ?
    - Oui. Ne restons pas. Elle te fera visiter elle-même. Tiens, prends ça.
    - Et, mais il y a quoi la dedans ?
    - Tous ceux qui l’aiment, ça pèse... et il en reste encore là. Je crains
     qu’il ne faille tout ressortir pour tester une autre organisation. Allez !
     On descend tout, nous aviserons dans la cuisine.

Je m’occupe du café, lui du sac. Il n’a pas l’air mal pour un garçon de dix-huit ans, pas fini. Genre beau gosse qui doit plaire à toutes les filles. Assez musclé pour rassurer. Assez discret pour paraître intelligent. Oui, il doit cartonner. Alors ? Il cherche autre chose. Il a trouvé Lisa et ne sait pas encore la perle qui s’offre à lui. Pas intérêt à me la détruire celui-là. Sinon, je le tue. Je jure que je le tue. Remarque, ce serait dommage. Surtout, ce gros grain de beauté boursouflé près de la bouche, le détail qui tue. Un peu de bassesse humaine dans sa beauté parfaite, un côté gavroche, du poivre sur un dieu grec, envie d’embrasser. Non, mais je déconne là, me voilà en plein Dalida. Il venait d’avoir dix-huit ans...

Un café embarrassé, des questions trop intimes pour être posées, je le raccompagne sans vraiment savoir qui est ce jeune homme que Lisa souhaite voir avant nous. J’ai presque envie de le poignarder maintenant, prendre sa place, voler vers Lisa. Raison, quand tu nous quittes...

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité