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13 avril 2012

Le cadeau d'Ibrahim / Chapitre 27

ENSUITE, PLUS QU'UN CHAPITRE ET L'EPILOGUE...

Chapitre 27

En ce petit matin gris, les ordres et contre-ordres se succèdent. L’angoisse monte, les officiers ne savent plus. Nous sommes coupés du commandement. Il est terrible de voir la peur dans les yeux révulsés du capo. Je préférais y lire la bêtise. En deux ans, j’ai eu le temps d’apprendre ; ce qui s’annonce sent la mort. Le chaos. Les boules s’agitent entre mes doigts, je tiens bon. La peur ne sert à rien, il n’y a que l’instinct qui sauve. Retrouver l’animal. Tous les sens à l’affût, obéir aux impulsions ; c’est ma règle, ma survie. Mais il n’y a pas de règle absolue. Ici, tout peut arriver. Ce matin, le plus sage serait de rester terrés et d’attendre que ça bouge devant ou derrière pour les aligner. Mais la sagesse.... Le capo l’a perdu en même temps que...

Non ! Pas maintenant ! On ne voit rien. Et merde ! Putain de sueur glacée. Ça engourdit. Compter pour libérer l’esprit. Un, deux, trois, quatre. Rien. Ça va. Cinq, six, à droite ! Réglé. Sept, huit, neuf, dix. La sueur. Non ! Compter. Onze. Ne pense pas. Respire. Douze, treize et merde. Ca siffle. A terre ! Les abeilles. Quatorze, quinze, seize. Piqué. Dix sept. Ibrahim. Dix huit. Mondo es un...

Les dards d’acier ne font pas mal... Je ne vois plus, tout est flou. Je pense. Donc, je vis encore. Tiens bon ! Essaie de voir. Oui, c’est mieux. Mais... Qu’est ce ? Un corps...
Moi ! Comment puis-je me voir ?
Je... je suis mort.

Nulle douleur. Tout va bien. La lumière est douce, je me dissous. Ce qui est moi reste moi et se mêle au reste. Le reste, tout, moi, tout en un. Je me noie, me démultiplie. Le vent caresse mes ailes. Je vole comme une libellule. Non, je suis une libellule. La foudre me frappe, je craque, ma colonne de vie se brise, ploie. Restent mes racines, l’agonie. Sous l’eau ! Vite! J’ondule avec le courant. Mes écailles frissonnent au grès des pulsions. L’eau murmure les échos de vies immergées. Elle ne m’a pas eut cette grosse mouette idiote ! J’ai faim. Pourquoi ai-je si faim ? Une truffe de plus ou de moins ne changera rien à cette grosse main. Mais le corset, lui, parviendra t-il à contenir mes mamelles généreuses et ce ventre s’écroulant sous le taffetas doré. Je... Les sensations émergent et disparaissent.
Je suis tant, que je ne suis plus.

Me concentrer, me fixer. Je parviens à me retrouver, à me limiter partiellement. Il y a ce que je sais de moi, et ce que je perçois de toutes les autres choses qui résonnent en moi. Avec le calme, l’acceptation, je peux le supporter. C’est comme un nouveau sens. Il faut s’y habituer. Vivant, je pouvais entendre simultanément les sons internes à mon corps et les autres. Il suffit de s’ouvrir, d’accueillir les sensations étrangères.

L’arbre, encore l’arbre, le doux langage. Je le connais... c’est moi ! C’est également moi, enfant, pissant sur moi. Trop de moi, plus de moi. Je me laisse porter et emplir d’une vie à l’autre. Un rocher. Immobilité spirituelle, ponctuation apaisée, un instant pour se poser. Tant de possibles. Femme, je suis femme, encore cette grosse femme. Non ! Amélie ! Revoir Amélie.

Cette pensée m’électrise, les autres sensations me quittent, je suis de nouveau seul. Je me condense, me resserre autour de cette idée. Ma partition, multiple, se recentre, compacte et dure. Impression de vitesse, fulgurance d’un déplacement vertical. Choc. Violence d’une fixation matérielle. Mes particules se redéploient. Il fait sombre, on m’oppresse, je suis prisonnier. Un vacarme ahurissant. Les battements d’un cœur immense, prêt à me broyer. Affolement. On me transporte, je... Non ! Je...
Un corps dans un autre corps. Je suis foetus. Son cœur se calme, elle est douce, chaude, elle a peur. Ne tremble pas petite femelle, je ne te veux aucun mal. Prend soin de nous. Je t’aiderai. Accepte moi. Elle me perçoit !

Mon énergie s’épuise. Les particules s’éteignent. Elles crépitent et s’abandonnent en intégrant la matière gluante de ce nouveau corps. Pas assez évolué pour... penser.
Elle parle. Amour. Pulsion d’amour. Retiens-moi. Je fonds. Le dernier moi s’envole, les autres passent et disparaissent à leur tour. Le rocher, l’arbre, la femme-ventre, tous s’évadent vers un prochain moi et imprègnent de leur savoir ma nouvelle chair. Je ne suis plus qu’une seule chose, une intention, un tout, qui se fixe dans un minuscule grain mental. La clef d’une mémoire ? Je pas grand chose.
Ne penser. Se peut. Ne peut ser. Ne peut se penser.

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