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14 avril 2012

L'effet papillonnette

Au cas où notre futur président ne voudrait rien faire, une nouvelle déconnante sur l'effet papillon...

 

Affalée, languide, je flotte dans une douce torpeur à l’ombre du pommier. Le vent chuchote à travers le feuillage, souffle, timide, sur le carillon du voisin, l’invitant à chanter et danser. J’ouvre un oeil, le plisse, me réfugie derrière la fange de mes cils englués de mascara pour atténuer l’ardeur du jour éblouissant. Waooh... Finalement, autant le refermer. Un long soupir d’extase approuve cette sage décision. Je plonge de nouveau dans l’errance sensorielle, bercée par les dialogues débiles d’une série à l’eau de rose qui roucoule depuis la fenêtre d’une autre de nos voisines. Un brin sourde celle-là. Je sombre.

Le soleil assaille mes doigts de pieds, les brûle. Umfff... Je vais devoir bouger ! Ou replier les jambes, les tenir à l’ombre ? Le temps de peser le pour, le contre, je m’enfonce.

Le Hamac, son doux balancement, si simple, si génial. Existe-t-il invention plus heureuse ? Yes ! Les cloppes et la Vodka ! Putain ! J’suis cramée jusqu’aux genoux ! Cette fois, mes deux yeux s’ouvrent, ma conscience prend le dessus. Quelle conne ! Plus question d’aller griller à la plage comme prévu. Remarque, aucun texto. Tout le monde doit pionser, accuser comme moi les restes de la soirée. Je ne me souviens pas être rentrée. Juste... la fin des épreuves, la terrasse du café, vaguement une pizza, une autre terrasse, la vodka, puis la vodka, encore la vodka, puis trou noir et, à présent, hamac. Sordide. Euh... Et vomi. Dégueu ! Le pied droit dans le vomi, ça porte bonheur ou pas ? Pour les fourmis, en tout cas, oui. Bahhh... Ultra dégueu ! Sont toutes en train de bouffer ma merde. Quoi que... aromatisée vodka... Ca va être la fête chez les insectes ! Bon, et moi, j’ai fait quoi cette nuit ?

Douchée, les tibias couverts de Biafine, j’avale un Doliprane, décline la salade composée que propose maman. J’essaie de faire bonne figure même si je tangue encore, que Radio Nostalgie me titille l’apathie. Beaucoup de mal à placer des «Ouai...» «Ah !» «Ok» aux moments opportuns de la conversation. Dernière épreuve ? Ok. Mangé au moins hier soir ? Ouai. Bonne soirée ? Ouai. Avec Vanessa et toute la bande ? Si. Avez fait quoi ? Quoi ? Vous étiez où ? Nan. Ca va ? Ouai. Z’avez vu les indignés ? Quoi ? Ce qui s’est passé hier soir sur la place de la Comédie ? Nan. T’es pas au courant ? Euh... Une bande de cons à déboulé et saccagé leur camp cette nuit. Ah ! Même des blessés. Quoi ?
Putain ! Et je ne me souviens de rien.... J’espère qu’on est pas concernés. Pas de panique. C’est pas possible. La dernière fois qu’on en a parlé.... C’était quoi déjà, l’opinion générale ? Une bande de loozers... Utopie... Ouai... Des gauchos... En résumé, des chevelus à la traîne socialement mais sans danger. Nan. Je ne vois aucune haine, aucune violence dans les souvenirs que je garde de nos discutions. Mais aucun reste d’hier soir non plus.

Les médias ne parlent plus que de cela. «L’attaque des indignés est indigne, blablabla...». Beaucoup de gens les rejoignent, s’installent en pleine cagne sous les campements parsemés de toiles colorées, les soutiennent, apportent nourriture, boisson... Le mouvement essaime partout en France. Je ne me souviens de rien.

Vaness non plus. Les mecs ricanent mais ne sont pas très clairs sur ce qui s’est réellement passé. Ca me fout les ch’tons. Je ne leur fais plus confiance mais ne peux rien leur reprocher. Il y a un grand trou où tombe cette soirée, ma mémoire, l’estime de mes amis et, des flots de vodka.

Mes parents, que je pensais sensés, me font flipper. Ma mère prépare des p’tits sablés pour le camp ! Demain, week end, ils projettent d’aller aux indignés ! Trop drôle la bourgeoise et le haut fonctionnaire aux côtés des chevelus ! Moi, je préfère la plage. Mais sans mec ! Juste Vaness et moi. On va enfin se poser, essayer d’oublier les semaines à tafer, esclaves, les exams, l’angoisse des futurs résultats et cette putain de soirée mystère-et-amnésie noyée dans la vodka.

Si ce n’était le paréo sur le bas de mes jambes, tout serait parfait. J’ai sûrement l’air idiote avec mon demi coup de soleil. Pfffff.... Pas plus que les premiers touristes aussi blancs que la coco. On a changé de plage avec Vaness, histoire de ne pas croiser les affreux... On ne se laisse pas abattre pour autant. Les transats sont encore plus moelleux ici, les coktails, à tester, les clients, plus vieux et plus friqués, on s’en tape.
ça, c’est la vie ! Je ne sais pas ce que je ferai à la rentrée, mais ici et maintenant, c’est ultra bon. J’aspire sereinement le parfum de la mer, des crèmes solaires. Mes lunettes papillon atténuent l’explosion de lumière, je peux mater, discrète, les fesses du serveur, les abdos du type qui s’essuie, refermer les yeux, apprécier le léger voile d’air qui me caresse le ventre, frissoner à la goutte salée qui tombe de mes cheveux, glisse derrière mon cou, couler dans le matelas ni trop ferme ni trop mou qui porte ma légèreté, mon envie de baisers.
Alors ? Le transat ? Juste après le hamac sur la liste des plus belles inventions ? Je vote pour. Deux cocktails non commandés atterrissent sur la table. Tiens... Tiens...

Dale est anglais, albe à mourir foudroyé au premier rayon de soleil qui le trouvera. Étrangement, cela me charme. Sans cette fragile opalescence, sa beauté serait méprisante. Les «the» s’insinuent sur ses lèvres comme autant de promesses sinueuses et savoureuses. Je teste mon anglais. Pas si mauvais. Il teste son français. Lamentable. Vanessa s’éfface.

Mes parents sont très enthousiastes. Les journaux télévisés, médusés. Les indignés avaient refait surface après les élections présidentielles mais restaient marginaux. Voilà que le fait divers de l’autre nuit cristallise derrière eux une part non négligeable de la population. Dont la bourgeoise et son fonctionnaire. Faut le faire ! Bravo los indignados !

Je ne comprends pas qu’on puisse espérer changer le monde en se posant le cul par terre au soleil. Ca fait vendre du papier, chier le politique, et bosser le CRS mais sinon, y se passe quoi ? Dale sourit. Il bosse à la city, me confirme. La finance ne tremble pas. La finance avance. Toujours. En avance d’un ou plusieurs tours. Elle joue. Sans état d’âme, sans âme, assise sur son tas d’or. Elle peut même perdre, un peu, beaucoup, s’en fout. Le cercle n’est pas si grand. Entre over-friqués, on se refera.

L’épisode Dale s’étire. Son séjour est passé ; lui revient. Chaque fin de semaine, je campe au bas de l’escalator en attendant sa descente d’avion. Sa peau petit à petit se hâle, mon anglais décolle. J’annule mon séjour en Espagne, les pôtes, je le suis à London. Deux semaines. Je papillone dans les rues de la ville sans but fixe, j’attends seulement le soir, petite robe légère, sans culotte, qu’il sorte de l’ascenseur, traverse le hall, m’embrasse sur le parvi, attrape un taxi. Tâtonnent en se cachant sa main, mon impatience sous le voile léger et les yeux du chauffeur. Je monte l’escalier, jupe courte sur son nez, le plus lentement possible, susurrant en français les premiers mots qu’il sait désormais prononcer. Correctement. Je sens sur mon cul le feu de son attente. La nuit se décline sur le même thème, le jour ne sert à rien.
Les tabloides commentent la désobéissance qui, ravivée en France, rejoint l’indignation de l’Espagne, l’Italie, la Grèce, mais aussi Israél, les Etats Unis... Je déambule, je bule, je baise pendant que la planète s’indigne. Je rentre.

Mon diplôme, c’est raté. Il faudra repasser. Je reste. La France, la rentrée, le bordel, Dale, tout se mêle. Je suis inscrite, les cours ne commencent pas. Le pays hésite : chaos, retours à la norme, sait pas. Les vacanciers ne sont plus en vacances, ils retournent chez eux s’assoire sur leurs trottoirs. D’autres reprennent le boulot. Le président s’énerve. Moi je m’fais chier. Dale le week-end, cela ne suffit pas.

Ma mère campe à présent avec les indignés. Le poste de mon père ne le lui permet pas. Il soutient en silence. C’est le grand n’importe quoi.

Je branche la webcam et fais jouer mes doigts.
Maquillée en pin-up, je poursuis avec Dale nos joutes érotiques. J’approche mes lèvres de la petite caméra, chuchote la leçon de français du jour, perçois l’excitation qui trouble son souffle. Je le regarde, mon make-up papillonne, je joue de mes oeillades, le défie. Ses yeux ne me quittent plus. C’est bon, il est fixé. Je peux reculer, offrir le reste de mon corps à l’oeilleton voyeur. L’une de ses mains tapote encore ce qui doit être un clavier, l’autre a disparu mais, de l’épaule, un lent mouvement naît qui semble lui faire plaisir. Je laisse ramper mes doigts où le désir les guide. Tels de petites larves, ils cherchent à se cacher dans des zones humides. Mes yeux se ferment un instant en suspend, je me sens chrysalide, mes ailes se défroissent, palpitent, s’élancent. Je m’envole via le web vers le bureau de Dale, le laisser butiner ma petite fleur languide, ouvrir le calice afin qu’il s’y glisse. La fleur, le papillon, je ne sais plus qui je suis. Je glisse dans le délice, m’abîme dans le supplice, entrouvre un oeil, aperçois de multiples fenêtres, de multiples caresses.
J’en tombe de la chaise.

Les hommes de Goldman Sachs matent nos ébats. Depuis le début. Deux semaines. Nos amours virtuels piratés ont divertit le trader échauffé par l’été. De nombreuses connections sur le réseau interne, toutes aux heures coquines, témoignent de mon succès. Nos séances torrides font trembler la finance. Le yoyo des marchés semble m’être imputé. J’aurai, sans le vouloir, été à l’origine de défaillances en chaîne dans le système spéculatif mondialisé. Les pertes sont abyssales. Sous la pression publique, affaiblis par les crises, les états ne sont plus en mesure de renflouer les caisses de la banque. Personne ne peut anticiper ce qui va se passer.

Je suis la pute des indignés, la salope des marchés, on me fête comme celle qui aura terrassé le dragon financier. Je n’ai fait que papillonner sur le web avec Dale.

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