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23 septembre 2014

Sous Cloche

Le recueil de nouvelles du Printemps des Auteurs 2014 est disponible.
Voici la nouvelle  avec laquelle j'ai remporté la catégorie "Claviers confrmés".
Les autres nouvelles lauréates à lire sur :

http://www.nimes-metropole.fr/fileadmin/mediatheque/Culture/Documentations/Printemps_auteurs_recueil_2014.pdf

Bonne lecture.

 

Sous Cloche

Solva rêvGrau-du-roya du soleil, de sa peau hérissée, impatiente d’absorber la chaleur, de l’enfant qui dorait sur les plages du Grau, de ses parents débordant de leur maillot.
Les plages...
Après les avoir décrites à Mara, elle avait envisagé de l’y mener pour que sa fille parvienne enfin à saisir les plaisirs de la baignade, du bronzage, des voix qui se tissent, fondent et s’estompent au dessus de ton dos quand, huilée et confite d’été, la somnolence va et vient en vagues lourdes, vibre lentement, t’enlise.

Mara ne voyait pas.
Comme toutes les choses de la vie d’avant dont parlait sa maman. Faire du canoë, se promener dans la nature... Cette pensée la remplissait d’effroi. Alors que sous le dôme, l’air était pur, la température égale et agréable. Aucun danger naturel ne pouvait l’atteindre. Avec son copain Sam, elle était allée voir un orage depuis le tube de verre qui lie le centre ville à la zone dortoir. Depuis, Mara faisait des «couchemards où d’horribles zéclairs viendaient casser le dôme et la poisonner dans son lit».

Réaliser que les nouvelles générations pensaient la nature en ennemie désolait Solva au delà du raisonnable. Toutes ses tentatives pour évoquer ses joies enfantines en garrigue, à la rivière, à la plage creusaient un abîme entre la fille et la mère. Elle finit par admettre que l’unique façon de combler cet abysse consistait à éprouver dans sa chair ce que seule la nature sait donner... et que, objectivement, au temps présent, vue du dôme, le monde extérieur était monstrueux.

La question était réglée d’un point de vue rationnel. Sa fille vivrait une autre vie. En bonne scientifique, Solva continua tout de même à caresser son insatisfaction. Ses interrogations ondulaient discrètement en arrière plan mental. Et toujours une image, la même, les plages, étendues vierges et magiques où le vent de la mer lave de tout. Subsistaient-elles ces plages ? Le sujet obséda Solva quelques semaines avant qu’elle ne se décide. Elle profita d’un convoi social pour rejoindre Montpellier afin de vérifier par elle-même que le monde était mort, qu’il lui fallait accepter de vivre sous une cloche et clore ce débat intérieur. Elle confia Mara à son père, dissimula dans son sac une combivie intégrale et d’antiques rollers. Elle se rappelait qu’une voie reliait la ville aux plages de Palavas et espérait qu’elle serait praticable. Avoir le temps de faire l’aller-retour dans la journée... Juste pour voir....

Le convoi cheminait entre accélérations vertigineuses et ralentissements suffocants. Personne ne se plaignait de ces conditions de transports inhumaines. Trop heureux d’avoir décoché le sésame. Les mères espéraient bientôt serrer un fils, les grands-pères revoir un frère, les cousines se retrouver. Les mailles distendues du lien familial s’accommodaient de voitures évoquant davantage les convois à bestiaux ou la Shoah plutôt que les fières années du TGV, voir de l’IdTGV.
Solva sourit au souvenir du marketing triomphant des années 2000... IdTGV ! Quelle idée ! L’époque nouvelle était plus sobre, voir spartiate. Son usage suffisait à nommer un service. Même si sous la simplicité des mots se cachaient parfois une manipulation pernicieuse.

Le convoi social s’essouffla de nouveau. Face à Solva, l’ado boutonneux devint blême. Celle qui semblait être sa grande sœur s’en inquiéta, attrapa le compacteur de déchets que le môme refusa, outré. De grandes auréoles étaient apparues au niveau de ses aisselles, son front perlait. Les gouttes de sueur survolaient à grande vitesse une peau graisseuse, soudain détournées, voir stoppées par les monts purulents d’une acné virulente. Là, un lac se formait, que l’ado essuyait de ses mains, semant à nouveau les bactéries qui ensemenceraient la prochaine poussée infectieuse.
Solva se reprit, s’engueula mentalement. Les détails intimes de la vie l’avaient toujours fasciné jusqu’à surpasser toute bienséance. Combien de gifles avait-elle encaissé gamine, de punitions parce qu’elle scotchait sur le bouton du pantalon de la maîtresse qui menaçait de s’ouvrir à chaque inspiration, de gros cons qui l’avaient collé toute une soirée parce qu’elle avait détaillé longuement une crotte de nez surfant sur l’air entrant-sortant de leur gros blaze de dragueurs et, qu’ensuite, il était difficile d’expliquer que non, vraiment, non, elle ne les cherchait pas.
Cette aptitude l’avait servi aussi. Elle devint chercheuse, observa la vie derrière une lentille, su très vite que tout se déréglait. Bien avant les premières intoxications, elle stocka l’oxygène.

Le train accéléra, l’ado s’enfonça dans le siège, soupira. Visiblement, il préférait la grande vitesse.
Solva avait espéré apercevoir un bout de paysage, un interstice peut-être, une halte laissant monter de nouveaux voyageurs. Mais non. Ils étaient bouclés, protégés de l’extérieur jusqu’à destination.

Parvenue à Montpellier, Solva fila jusqu’aux toilettes, enfila la combivie. Elle ne savait pas si, sortie de la gare, il lui serait possible d’éviter les tunnels protégés. Oui. Personne ne l’empêcha de sortir. Chacun était donc libre d’aller se faire irradier. Elle enfila son casque. Dans le tunnel transparent les gens couraient vers leurs membres séparés venus les attendre. Le point de rencontre formait un bouchon d’effusions. C’était beau cette grappe d’amour sous cloche, comme les gâteaux colorés de son enfance qu’il fallait protéger des bestioles et des doigts gourmands. Un gamin, trop jeune certainement pour avoir connu le membre familial visité, restait en dehors du bouchon de joie, la dévisageait, intrigué. Solva lutta contre l’envie de faire le clown pour l’amener à sourire. Ne sachant pas si elle serait tranquille bien longtemps, elle se contint, rangea ses affaires, enfila le sac à dos, ne put s’empêcher d’esquisser tout de même quelques pas de danse à roulettes, exagérément maladroits, puis fila.
Et un sourire de môme au compteur ! Un !

La voix cartographique qui susurrait à son oreille les directions à suivre s’accordait gracieusement au ciel dégagé. Un bleu franc sans nuage, fier comme une bonne note, un sans faute aérien. Et pourtant... Les ondes invisibles et nocives forçaient l’humanité à se protéger d’une pureté trompeuse.
Au sortir de la ville, le paysage en partie brûlé, abandonné, en savait quelque chose. La vie se débattait, certains arbres persistaient à offrir deux ou trois bourgeons au bout de branches noirâtres, quelques touffes de verdures surgissaient comme des doigts d’honneur à la désolation. De moins en moins joyeuse, Solva se réfugia dans un mouvement mécanique et puissant pour atteindre au plus vite son objectif : revoir la mer, vérifier qu’elle pourrait la montrer à sa fille.

A Lattes, elle trouva les maisons coiffées de leur chapeau protecteur, intubées les une aux autres. A l’abris de leur tuyau de verre, les habitants stoppaient leur progression pour vérifier que la patineuse n’était pas un mirage mais bien un être humain sur la route des plages.
Un frisson parcouru sa colonne vertébrale. Solva s’imagina à la place d’une bactérie que les autres regardaient derrière leur lentille. Aucune envie d’être la bactérie !
Malgré la fatigue, ses jambes s’emballèrent, les maisons s’espacèrent, il n’y eut plus que le Lez, un Lez couché dans le béton que de grosses turbines forçaient à progresser. Bientôt, en place des étangs, séchaient des lacs de boues, figés et crevassés. Pas un oiseau, encore moins de Flamant, rien de rose, de vert ou de bleu, hormis le ciel trompeur. Solva pleura. Une soufflerie vint rapidement à bout des larmes, sécha trop efficacement l’œil en son entier. La rolleuse stoppa, paupières affolées. L’eau, chassée des globes oculaires refluât pour sourdre jusqu’au corps, imbiber le dedans, l’alourdir, l’amollir, engorger les muscles de ses jambes et les paralyser.
Assise cul à terre, les roulettes dans le vide, terrassée, Solva se demandait s’il lui fallait trouver courage pour rebrousser chemin ou poursuivre vaille que vaille. Comme les éléments, sans conviction, elle se laissa porter par le sens de la vie qui conduit le fleuve à la mer. Les jambes molles se dressèrent péniblement, les roulettes roulèrent, Solva glissa. Étanche. La combivie coupait les sens. Plus de vent, d’odeur, de son. Plus d’élan. Un petit vide se déplaçait ne sachant plus pourquoi il glissait là. Le goudron gondolé, les marais envasés et toujours rien devant.

Palavas, désert, à découvert, abandonné, des bateaux gisant et, à perte de vue, des prairies vertes. Un vert strident, acide, qui grince sous la dent, un vert de nuancier, un vert impossible. Un vert qui titilla la scientifique. C’était quoi cette merde ? Les premières nappes éparses grignotaient ce qui jadis était une plage. De près, le sable solidifié offrait une nouvelle structure, une couleur sombre, dense qui évoquait le vide, aspirait la lumière, peut-être à base de rouge... mais éteint. C’était curieux. Du rouge éteint. Impossible de faire du rouge sans jaune tout de même ! Une saloperie chimique ? Elle saisit son couteau. Rien à faire. Ce truc était dur, cuit et recuit à ne pas laisser le moindre micro-organisme s’insinuer. Et pourtant. Comment le truc vert pouvait-il prospérer sur un sol mort ? Solva se dirigea vers la première plaque isolée, s’assit, l’examina. A première vue l’espèce se rangeait dans la catégorie des mousses. Simplement posée sur la roche, elle adhérait sans rien en retirer. Sa texture dense rappelait les bombes à mousse d’antiques farces et attrapes. Solva fouilla son sac, ne trouva pas de meilleur contenant que sa boite à repas, chercha autour d’elle un compacteur. N’en avisant aucun, elle vida le contenu sur le sol, énervée par la mauvaise conscience qu’elle éprouvait à l’idée de ce gâchis, désinfecta la boite repas au rayon dégradant, détacha une plaque de mousse, la rangea méticuleusement et stabilisa le tout au mieux dans le fond de son sac.

Les rollers n’étaient pas appropriés à la surface accidentée qui étouffait l’ancien littoral. Elle déchaussa, se posa un instant puis eut envie de marcher, juste quelques pas sans roulettes.

Rien. Il n’y avait rien, absolument rien pour expliquer ce petit bonheur qui s’allumait au creux de son ventre. Le paysage avait beau être apocalyptique, quel plaisir de s’y déplacer librement, sans mur pour l’arrêter. Cela ? Juste cela ? Non. C’était comme si la mer, même absente ou morte, lavait encore les émotions.

Surprise ! Une mouette atterrit près du repas abandonné. D’où venait cette gourmande, suspicieuce mais suffisamment hardie pour ne pas trembler devant un être humain ? Scrutant le ciel, Solva découvrit d’autres oiseaux. Ils venaient de l’horizon. Etait-il envisageable que le reflet blanc dans le lointain soit un début de mer ? Excitée, Solva rechaussa les rollers et s’élança, zigzaguant entre les plaques de mousse vers le miroitement blanc. Elle luttait contre l’envie de se débarrasser de la combivie pour profiter du cri des mouettes, sentir le vent sur son visage, l’odeur salée sucrée de la mer. Un espoir fou la gonflait du dedans. Une évidence. Tout son corps le savait : la mer était là.

Épuisée, déterminée, elle se levait après chaque chute, roulait, silhouette maladroite, laborieuse, sous les rires des mouettes venues nombreuses railler la rolleuse. L’horizon les cachait... et POP ! soudain les dévoilait.
C’est alors qu’au devant, le vide frissonna.

Une onde parcouru le transparent. Solva s’immobilisa. Cette fois, elle vit nettement une mouette sortir du néant à quelques mètres d’elle. Puis le vide frissonner.

Prudemment, Solva progressa, échafauda des tas d’hypothèses... jusqu’à ce que le bout de son roller rencontra la texture du vide frissonnant. La scientifique reconnut immédiatement l’écran oxygéné que son pied effleurait. C’était une putain d’image qui lui faisait face ! Un putain d’immense écran qui lui barrait le passage. L’incrédulité s’effrita, révélant l’évidence : l’écran n’était qu’un paravent. Pour cacher quoi puisque les millions de morts de la grande intoxication étaient connus, que les villes désolées, la nature bousillée s’étalaient sans pudeur, et qu’aucune vérité, aussi atroce fut-elle n’avait été épargnée aux survivants ?

Solva réfléchit tout en luttant contre l’envie débile d’enlever sa combivie. Comme un parasite autonome, sa main glissait vers le casque pour le déverrouiller. Instinct imbécile ! Hors de question de risquer de crever là. Elle s’allongea. La position lui avait été bénéfique lors des grandes décisions qu’elle avait du prendre par le passé. Elle s’immobilisa, le nez au ciel pour faire le vide puis le point, essayer de déterminer la hauteur de l’écran, sa largeur. En vain. Il s’adaptait à son environnement, réfléchissait un horizon plausible.

La vue n’étant d’aucun secours, Solva eut l’idée d’amplifier la réception sonore extérieure. Waouh ! Atténué, comme lorsqu’en somnolence elle dorait au soleil, elle perçut le chant des vagues, lointain mais certain. Tout son corps céda à la joie, comme un reflex, un souvenir qui s’incarne, trompe l’esprit, relie les sens pour créer de toute pièce les odeurs, la chaleur, la lourdeur du corps échoué sur le sable tendre, créer l’illusion merveilleuse et fugace d’un bain de soleil insouciant. Un instant seulement. Guère plus d’une seconde et ne restait que l’ouie, attentive, de plus en plus précise pour isoler les sons, les classer, les attribuer à leur origine. Oui. Il y avait la vie. Là, juste derrière, la mer, son clapotis.

Solva s’imagina en personnage de conte, une Alice à deux doigts de tomber dans le terrier du lapin. La scientifique fit un test, détacha un morceau de mousse verte, le projeta en éclaireur contre l’écran. L’écran frissonna, la mousse retomba de son côté. Solva prit son couteau. A peine enfoncé, une déchirure fila de haut en bas. Le son s’y engouffra. Le chant des vagues roula sur la terre morte. De sa lame, Solva écarta la béance. Le sol noir courrait sur quelques mètres avant de se laisser chatouiller par de timides vaguelettes. La mer commençait là.

Son clapotis toquait plus audacieux aux pieds des tours émergeant régulièrement des flots comme un cordon de phares aux aguets. Bien sûr... si elle était cachée, la mer était certainement surveillée, le secret protégé, des protocoles de sécurité enclenchés. Elle devait fuir.

Solva jeta un dernier coup d’œil au pays des merveilles et s’élança. Vite, plus vite, encore, souffle court, sueur perlant au dessus des sourcils, sur l’échine. La combivie s’activa pour rétablir les constantes... Peine perdue.
Et puis...

Et puis Solva s’éleva.
Quelques centimètres au dessus du sol, le patin qui s’affole, abandonne et pendouille, douce lévitation et Slurps, une aspiration vive colla la femme contre un aimant à.... calcium supputa-t-elle. Immobilisée, étrangement calme, Solva apprécia le vol, paisible malgré la position inconfortable, franchit l’écran, survola les premiers mètres de mer nette et vivifiante qui s’étiraient jusqu’au flou du lointain. Détendue, heureuse de renouer avec l’immensité, Solva fut déposée sur la terrasse d’un phare de guet.

Le comité d’accueil était curieux. Il évoquait une bande de baba-cool tout droit sortie d’un film du vingtième siècle. Pacifiques, visiblement heureux de sa venue ???
L’aimant la libéra. Une femme à longues tresses grises et regard malicieux l’invita à pénétrer au cœur de la tour marine. La pièce ronde garnie de coussins, tapis et tables basses accueillit le groupe. Ne manquait que l’encens. Ce fut un beau moment, une histoire qui finit bien, un conte qui éclaire la vie. L’Afrique, comme au début de l’humanité, avait été la première à se relever. Résilience spontanée et naturelle. Il y avait la mer, les mouettes, tout le reste, et comme un sanglot qui picotait au fin fond de la gorge. La belle fable, l’avenir doré, le miel avaient un arrière goût de fiel. La vie d’avant, oui, mais protégée par un écran géant. La vie sans dôme, oui mais pour quelques millions de privilégiés réfugiés sur le continent noir.
Pourquoi séparer ? Pourquoi taire ce formidable espoir ? Pourquoi faire croire que la terre était morte ? Jusqu’à ces plaques de mousse verte, sensées évoquer la pestilence, épandues pour détourner les éventuels curieux dans leur exploration du littoral. Juste après la joie, pointait l’indignation. La science, ses écrans, ses recherches à la con sur la protection, la décontamination, l’adaptation... n’était que foutaise !

La science, inapte à réparer ses conneries, infoutue de défaire ce qu’elle avait détruit, n’était plus que fiction organisée pour maintenir sous cloche une population jugée trop nombreuse pour espérer vivre en harmonie sur le seul continent convalescent !

Solva dut embarquer, contrainte à émigrer pour conserver le secret.
Les plages, la mer, le soleil qui hérisse la peau, le vent qui joue dans les cheveux, tout lui était rendu. Elle n’y prêta pas attention. N’entendit pas les mouettes qui riaient, tournoyaient au dessus du bateau. Ne sentit pas son corps, libre d’évoluer en grand.
Elle se réfugia dans le petit. La goutte d’eau de mer qui déforme les méandres des veines du bois, fait loupe, grossit de peu ce qui est minuscule, reflète un morceau de soleil en surimpression et peut-être dans le coin, là, à peine perceptible, le mât du bateau, sa voile silencieuse.

Posa un pied sur le sol africain.
Plus tard, s’endormit malgré la chaleur intense que son corps avait désappris.
Rêva du dôme, de Mara.

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