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23 janvier 2012

Nouvelle / Les nuages

Merci à Guillaume pour sa relecture "technique".

 

Les nuages

J’ai marché plus de six heures avant d’apercevoir le ciel. Jadis, un quart d’heure suffisait pour enfin respirer. Tout change mais ne s’arrange. Je n’ose enlever mon masque. Le magma poisseux qui couve la ville est derrière moi. Restent quelques cirrus acides. Le vent les détisse, nonchalant. L’azur paresseux les mâchouille. Je doute. Suis-je assez éloignée des cumulo-toxiques ? Aucun chant d’oiseaux ni autres sons animaux. Deux, trois herbes se rappellent du printemps. Elles surgissent éparses en touffes timides. Des brins rares, couleurs incertaines, qui loin de me rassurer, confirment la souffrance végétale. Marcher masquée. Avancer. Encore. Voir, si au delà des nuages la vie s’accroche, résiste, combat.

Je ne crois pas qu’en dehors des tours agricoles animaux, végétaux survivent en milieu naturel. Au labo, idem, nous échouons à créer des espèces résistantes. Comment le pourrions-nous ? Le caractère létal de l’A.N.D. (air non dépollué) se hisse au niveau des armes chimiques d’autrefois. Les sujets humains succombent à dix-sept minutes d’exposition. Et la nature ?
Je ne sais si ces herbes grises sont les résurgences agonisantes d’anciennes variétés ou la première génération d’herbacée adaptée à notre monde putride.

La marche m’éloigne des cumulo-toxiques. Je suis partie pour voir. Voir ce monde agonit qu’on nous cache, voir si le dôme délétère se limite aux abords de la ville, épier l’arrivée d’une nuée libératrice. C’est ainsi qu’on nous vend l’armée nanotechnologique crée par le laboratoire national de recherche contre l’A.N.D. Désignée pour être la première ville test hors milieu confiné, Tours est réduite à l’état de cobaye grandeur nature (si l’on se rit des mots puisqu’il n’y a rien de grand sous notre chape polluée, encore moins de nature dans cette ville asphyxiée).

Je ne crois plus à la science. Je me suis enfuit de la zone de réclusion urbaine. J’ai peur que leur horde monstrueuse, assemblage d’algues avides de gaz fatals et de nano-robots volants (à ce que j’ai compris), n’échappe à nos savants fous et froids.


Comme chaque matin, j’ai enfilé un masque pour sortir. J’ai suivi le parcours bleu-labo. A mi-chemin, j’ai tenté un pas de côté. Rien ne s’est passé. Je me suis écartée de la route lumineuse, repère quotidien d’une vie balisée de chez soi au boulot. Je me suis enfoncée dans les ténèbres. Rien n’a sonné. Dissimulée dans les sombres effluves, aveugle, effrayée, avec pour seul radar mon instinct. A petits pas craintifs j’ai marché. Je n’ai rien rencontré. Pas de barrière, de grillage, d’hommes armés pour fermer mon chemin. A croire que seule la peur nous tient prisonniers. J’ai marché droit devant dans la pestilence. A genoux lorsque le terrain s’est accidenté. Pensant à la mort, la traversée des limbes. Accrochée à l’espoir qu’ensuite cesserait le noir. Deux heures à tâtons avant d’apercevoir mes pieds et, à raison d’un mètre devant moi, le chemin.
J’ai marché.

Pas à pas la ville s’éloignait. J’ai reconnu des villages qu’enfant j’avais traversé : La Ville aux Dames, Montlouis... Maisons fantômes qui soudain se dressaient, coupaient le chemin dans la nuée poissée. Toujours à l’instinct je les ai contourné, j’ai parcouru la route de la peur à l’espoir, du magma frelaté aux premières lueurs. Le jour ne se levait pas, il était déjà là. Les fumées qui le dissimulaient se dissipaient enfin.

J’ai poursuivi ma route, dépassé les premières touffes d’herbes chétives. Il n’y avait pas mieux. Assise sur un roché dénudé, atrocement minéral, j’ai regardé le jour. Brûlés de lumière, mes yeux trop longtemps privés de clarté naturelle débordaient de larmes, se changeaient en poissons au fond d’un aquarium. J’avais oublié que le jour n’avait pas de couleur. Transparence enivrante. Que la vue du lointain embrassant l’horizon ouvrait en grand le cœur. Que se sentir vivante du dedans donnait envie de hurler sa joie, de danser. Je n’ai pas osé briser le silence.

Un danger arrivait. Je me suis retournée. A l’horizon, un point noir grossissait dans le ciel. Depuis mon bocal ambué, je le distinguais mal. Le nuage toxivore approchait. Un bruissement mécanique s’empara du silence, enfla, assourdissant, grouillant, aspirant toutes mes perceptions, dominant toute la terre bien qu’a plusieurs mètres du sol. Puis l’apocalypse s’éloigna. L’essaim infernal volait vers sa proie. Parvenu au dessus de la ville, l’armada grignota ses premières fumées nocives. Fascinée, j’observais le festin magique semblant délivrer Tours d’un sombre maléfice.


Je réalisais que tout mon corps tremblait. Les soubresauts s’estompèrent lentement, je devins molle. Le soleil taquin me chatouillait la nuque. Blanche comme une larve enfermée sous terre depuis de longues années, je me rappelai que le doux picoti rosirait en atroce brûlure. Je devais me protéger, me reposer. Avisant un terre-plein à l’inclinaison parfaite, je quittais ma veste, la roulais en boule pour soutenir ma nuque et m’allongeais épuisée mais sereine. Je me redressai pour retirer le masque qui dérobait en partie le spectacle, le magma se résorbant progressivement. La nuée libératrice mangeait le désespoir. J’accueilli ce futur exaltant en ouvrant tout mon être, inspirant le bonheur, l’envie de vivre enfin, les miasmes d’une campagne toujours contaminée. Le soleil continuait son chemin s’en allant vers la ville. Si lointaine, scintillante, s’extrayant doucement de son dôme morbide. Apaisée, j’entrevis sa beauté avant de commencer à tousser.

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