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13 mars 2013

L'adieu à soi

A toi, compagnon de voyage qui a su recueillir ma dernière étincelle,

je te pose sur ma page espérant percevoir la fin de l’écho, la dernière vibration sensible et incertaine s’évanouir, me quitter, tomber dans le silence.

Je reviens toujours à ce printemps, une semaine sans enfant, un cliché, Venise, le vent dans la lagune qui nous porte d’île en île. C’est la fin, nous rentrons. J’aperçois à l’avant du vaporetto, mon homme, de dos, très beau, quelques filets d’argent pris dans les cheveux. Il veille sur nos bagages.
Assisse au milieu des touristes, bercée par les langues étrangères, j’aspire le paysage. Une tristesse douce et lointaine monte, la nostalgie de rien, de tout, me submerge. Fin d’anesthésie qui rend mon corps sensible, mes émotions pregnantes. Présente à la gifle du vent, aux railleries des mouettes, à la danse des vagues, au roulement du moteur, je porte la fin de son amour.

Je le suis, le précède, trop longue compagne, depuis notre jeunesse. Le temps m’a effacé. Une hydre à deux têtes forme un nous efficace et complice, un gentil monstre sans mains pour se toucher, sans lèvres pour se baiser, qui chemine insensible dans une même direction. Sa tête à lui ne souffre pas alors que dans la mienne, trop souvent, je dois éteindre l’incendie qui m’éveille et, à bout d’argument, de courage, replonger en eaux froides, mourir, laisser le courant m’emporter vers le nous.

Pourquoi l’écrire, lui, qui m’endort et m’éteint au présent alors que c’est toi que j’appelle, que j’invoque du passé pour sentir un peu de chaleur et de vie ?
Le bateau, Venise, je n’étais plus l’hydre, j’étais femme dans un corps éveillé et frustré. Je savais ce désir condamné, une dernière flambée avant l’abandon, la maison, la mère, la compagne. Lorsque tu as chanté.
T’en souviens-tu ? As tu vécu ce moment ? Tu pilotais le bateau. Nous nous sommes regardé comme deux âmes se harponnent. Mon sourire triste, tes yeux amoureux. Sous le soleil, tu m’as offert les seuls présents que je pouvais accepter : un regard qui disait je te veux, une voix qui caressait mon corps par les mots. J’ai détourné les yeux, émue, ouvert mes oreilles, ma peau à ton chant. La mer, ton visage, la mer, ton visage. Te trouver, recevoir l’amour, distant, puissant, un instant, sans avant ni après, le don d’un homme, un inconnu, toi l’italien, le cliché, qui sut discerner l’ultime étincelle de femme qui s’éteignait en moi. Tu m’as porté sur l’autre rivage, doucement ton bateau m’a posé sur la terre ordinaire. Passant à tes côtés, nos mains se sont frôlées, caresse incertaine, échange de ta faim, de ma fin. Je me suis éloignée, compagne asexuée vers une vie de veille, d’hydre sans rêve qui enterre dans cette lettre le souvenir de ses défunts désirs.
Je t’aime, si loin et faiblement qu’à présent, toi aussi tu t’estompes, et nous nous retrouvons, unis dans l’effacement.

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