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10 février 2012

Le cadeau d'Ibrahim / Chapitre 16

Chapitre 16

J’en ai marre de cette vie à la con. Et ces crétins de parents qui ne voient rien, me traitent comme si j’avais dix ans. S’ils savaient tout ce qui me trotte en tête, nous irions ensemble à l’asile. Je ne peux même pas aller voir une copine, j’en ai pas. Il y a bien deux ou trois filles sympas, sans plus. Je passe pour la nana bizarre, la minette qui la joue mystère et solitaire. Si elles savaient combien j’en crève de cette solitude, combien j’aimerai ne pas vivre dans le secret. Je n’y peux rien, moi, si j’suis un monstre. Leur dévoiler, ne serait ce qu’un pan de mes... de mes dons, on va dire... et, je serai, davantage encore, la cinglée qui fait son intéressante. Alors quoi ? Devrai-je toujours avoir pour seuls confidents mes arbres, n’être que mensonge parmi les hommes ? Remarque, pour ce qu’ils valent ! Mais il y a Lucas. Que lui dire ? Il veut m’apprivoiser, me connaître, m’aimer, comment ne pas l’effrayer, le perdre ? Depuis l’enfance, je me cache. Serait-ce ce voile qui l’attire ? Silence ou vérité ? Je tourne en rond. Pas de guide. Il n’est plus question que mes parents dessinent ma vie. Maman par ci et maman pense ça par là. VA CHIER MAMAN. Oui, mais sans eux, c’est le vide, je suis seule. Personne pour voir le monstre, le conseiller. Il ne me reste plus qu’à aller m’oublier auprès d’Ebdel, mon petit arbre adoré qui, lui, sait m’apaiser, me connaît.

Le parc est désert, il faut dire que le temps est plus au ciné qu’à la balade, mais avec les parents : jamais ! C’est fini la gentille famille, les roucoulades, ma Lisa chérie, les lasagnes à la con. Oh, mon Ebdel, tu perds tes feuilles ! Tu es très beau aussi en roux échevelé !

Adossé tout contre Ebdel, je fais une boule de mon corps glacé, pour protéger du froid mes organes. Respiration abdominale pour descendre en moi, et petit à petit, le cœur ralentit, mon corps disparaît. Je prend le rythme d’Ebdel, me cale sur son souffle, lent et régulier. Il me perçoit, m’accueille. Déjà, son esprit me réchauffe. Je lui donne ma douleur, il me renvoie sa force, m’offre sa patience. Nous nous enlaçons ; je puise au fond de la terre l’énergie brute qui anime.

Cela fourmille en moi, électricité, magnétisme, je ne sais, mais cette minuscule multitude crépite à mes pieds pour remonter jusqu’au cerveau. L’excédent d’énergie s’évacue de mes cheveux. Le tronc d’Ebdel, sa colonne de vie, communication entre l’intérieur et l’extérieur, le reçu et le donné, m’apporte sagesse et rectitude. Tous mes membres, mes organes, se repositionnent à la recherche de l’équilibre, de la transmission parfaite ; je m’étire. Puis, en remontant les branches, j’atteins au feuillage, la vibration, le jeu du vent, le subtil langage, la pensée réactive entre le dedans et le dehors. L’échange entre ce qui est moi et ce qui ne l’est pas. Plus de question, plus de malaise, juste Ebdel et moi, ne formant qu’un corps pour deux esprits, vibrant aux mêmes pulsions.

Peu à peu, je m’oublie, noyée dans la vie brute. L’humidité de la nuit entre et abreuve notre corps. Les déplacements furtifs et très rapides qui nous frôlent sont ceux des animaux de nuit, des voyageurs d’énergie qui relient ou dispatchent des champs magnétiques. Nous ne percevons pas leur corps physique, uniquement leur déplacement, leurs effleurements, leur trace vibratoire, leur souffle magique, leur lumière, faite de minuscules particules colorées, telle une traîne de poussières fabuleuses qui s’épuise à leur suite.

L’haleine du vent est un gros bouillon de senteurs qui parle de la terre, des mers, du chant odorant des fleurs, du sommeils des abeilles. Avec un peu d’habitude, je parviens à évaluer la distance qui nous sépare d’une fragrance, mais il faut d’abord évacuer la puanteur gluante et acide de l’activité humaine. L’odeur du monde se sature et s’empoisonne de la folie consummériste. Il faut beaucoup d’habilité pour discerner, trier et ignorer les éléments toxiques.

La vie d’Ebdel est belle, je m’y sens bien et m’y retrouve, jusqu’à en perdre l’envie de retour. Plus de Lisa, juste un arbre. La lumière revient, quelques minutes, et c’est déjà le jour qui réchauffe et alanguit. Des fantômes, noirs et vides, pauvres d’énergie et d’échange, nous frôlent, apparaissent puis s’évanouissent. Je sais, pour les avoirs déjà rencontré, qu’ils sont hommes. J’ai honte d’être leur, honte de notre pauvreté, de notre vie solitaire, si loin de la communion terrestre, de notre suffisance, honte... honte... on m’arrache, j’ai froid... corps.... mon corps... Ebdel... souffre... sais plus...
je disparais..rais.

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