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28 novembre 2011

Le cadeau d'Ibrahim / Chapitre 4

Chapitre 4

Je n’étais qu’une petite étudiante timide, et cependant vorace, lorsqu’en 86 j’ai rencontré Marc. Tout homme, entre vingt et trente ans, s’il était brun et le regard légèrement plus vif que celui d’un mouton, me faisait craquer. L’éclipse totale me subjuguait d’une heure à quelques mois, mais toujours, l’ovin apparaissait derrière le beau brun dès que j’ouvrais les yeux, et surtout, les oreilles. Pourquoi suis-je, à chaque aventure, tombée sur de beaux idiots ? Mystère.

Heureusement, Marc était persévérant. Il ne m’attirait pas. Ni brun, ni blond, juste le miel entre deux tons, celui que je ne vois pas. Inlassablement, il venait me chercher à la sortie des cours, m’offrait un petit chocolat chaud chez la mémé du “Victor Hugo”, et me raccompagnait sagement jusque chez mes parents. Au fil des mois, le chien de la mémé se liquéfiait à l’entrée du troquet. Son agonie édifiait un rempart morbide pour tout nouveau client, préservant notre intimité naissante. Les quelques habitués enjambaient le molosse, sans pitié, et plongeaient dans le vide de leur verre, ne prêtant pas attention au couple chaste et bavard que Marc et moi formions.

Il me fallut trois mois pour réaliser que ce jeune étudiant, fermé aux mystères de la vie, aux arts, pouvait me séduire sans teindre de noir ses cheveux. Lorsque le chien ne fut plus, notre amour était.

Le temps de clore nos études, le miel chaud et rassurant de Marc me devint indispensable. Il était tout ce dont je n’avais pas rêvé, mais il était tout. Il décrocha un poste d’ingénieur à Nîmes. Je le suivis, oubliais le gris Paris de mon enfance. Nous nous évadions du long tunnel de l’école et de l’autorité parentale pour enfin construire notre vie. Faire le mur, comme les Berlinois en cet automne 89 et éprouver la liberté.
Les jours glissaient, insouciants, sans contraintes, nourris du plaisir à être deux sur le même chemin. Puis, l’inconscient sans doute, qui sourde en secret, nous emplit de toi. Le désir fut saisissant, surgi de rien, impétueux. Nous t’avons souhaité, dix jours plus tard, tu étais là.

Tu es bien petite pour entendre cela... Tu dors déjà ? Va fillette, repose toi. Je suis heureuse car nous nous sommes enfin regardées. Tes yeux sont graves, plein d’amour et de questions. Je crois y avoir lu les sentiments que tu m’inspirais lorsque l’idée d’être mère me terrorisait : calme, patience et confiance. Peux-tu réellement faire cela, ou suis-je folle ? Lorsque je me suis assoupie dans la baignoire, c’est bien toi qui m’a secoué pour m’éveiller, n’est ce pas ?

Cette fois-ci, j’avais le nez au raz du sol, le ventre à terre, et observais à nouveau un arbre. Ses racines semblaient tâter le terrain, choisir leur progression selon différents paramètres. Je ne voyais pas leurs sondes souterraines, mais il était évident qu’une information passait du sous-sol à la surface. Ainsi, l’orientation plein-sud d’une racine, dont le dos ondoyait hors de terre, changeait-elle radicalement de sens, lorsqu’une radicelle surgissait en son chemin pour disparaître immédiatement après avoir dérouté la trajectoire initiale.
De même, de petites ombres animales étaient dépêchées, qui pour grignoter la pouce d’un intrus, qui pour favoriser l’enracinement d’une mère racine. Une équipe végétale et animale, organisée, travaillait dans un seul but : la pousse de l’arbre.

Tout mon corps vibrait de sensations multiples et contradictoires, passant du chaud au froid, du piaillement des oiseaux aux murmures étouffés. Je finis par comprendre qu’il s’agissait du rythme de l’arbre. Les saisons se succédaient d’un moment à l’autre. Je reconnus le chant du printemps, la lourdeur estivale, l’automne humide suivi du silence hivernal, le tout en quelques instants seulement.
C’est lorsque je pris conscience de ce tempo que tu m’apparus. Tout se dissout en une seconde. L’arbre, devenu eau, s’écoula en moi. Seuls deux yeux habitaient le vide, ils étaient beaux et graves ; leur message, clair : danger imminent. Je m’éveillai en sursaut, toussant et crachant l’eau du bain qui allait nous noyer.

Lisa, j’ai reconnu ce regard. Même si aujourd’hui j’y ai lu la paix, c’est bien toi, la puce, qui nous as sauvé. Mais que faire de cette folie ? On me parlera de déprime, de baby blues. Qui peut croire cela ? Marc ? Non, non, si ce n’est pas rationnel, ce n’est pas pour Marc. L’astrologie le fait bondir, alors, cette histoire...
Il ne reste que toi Lisa.
Dépêche-toi de grandir, de parler. Nous avons tant à nous dire.

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